depiesse


Un laboratoire de lâcher prises



Points de fuite, 2002

feutre blanc sur papier

8 x 21 cm

Avec une ascèse active de moyens, Laurence Skivée travaille à dégager les sources d'un art de vivre débarassé de scrupules, au plus proche de l'enfant qui, en elle, réclame son droit de cité. Son oeil pénétrant les magies du visible, compose des échappées ludiques, en reporte les trajectoires de fuites pour poser l'état des lieux minutieux d'une relation épidermique au monde et à ses divers niveaux de réalité.


 


Dessins, vidéos, cahiers tels que ces "Cahiers Ouverts" (2000), entre journaux de bord et herbiers tout à la fois fantasques et épurés, déclinent une démarche légère et assurée, dont les oeuvres n'en sont pas moins chargées de timidité ludique. Parfois, les cahiers vont de paire avec une vidéo pour former des tableaux en dyptique à plusieurs rythmes de lecture, tel le splendide "Paris-Bruxelles-Liège" (2002). Au fil de ces compositions acidulées, de ces dessins et collages dynamiques aux motifs à la limite du niais, des très fines images de manuels scolaires surannés où dessins, herbes et notes mêlées coexistent, c'est tout un univers d'observations et de réflexions sur le rapport au vivant dans sa dimension phantasmée qui s'offre à l'exploration. La démarche est délicate, vouée à l'ouverture, et se pénètre à la manière des peintures miniatures, en vision rapprochée. Cette moisson d'anecdotes sensitives et tendres tient tant de la peinture que de la poésie visuelle, égrènant un cheminement moral pétri d'acuité enfantine pour décrypter les mystères qui se logent dans le présent.



Epingler les motifs d'un monde premier de la découverte.


Les herbiers ("Cahier Nature") se font première école du trait, comme les dessins de "Points de fuite", aériens, très proches des façonnages d'une signature.

"A la surface des choses", "Partenaires", "Respiration visuelle", sont d'autres titres (vidéo) évocateurs d'une pratique artistique fondée sur le ressenti, qui traite le réel pour lui donner perméabilité, translucidité.

Ainsi, le regard vidéo de Laurence Skivée épouse ce qu'il enregistre au plus près, patiemment, ouvrant la perception à des réalités cachées dans les replis du quotidien : la courbe de l'oeil d'un chat, les migrations de bulles dans du savon... les périgrinations secrètes d'insectes inattendus et autres "tamagochineries" de cartable. Ces acrobaties de lâcher prises aux allures récréatives sont aussi les effets d'une inquiétude plus ou moins féconde face à l'envie ou la nécessité de créer, indéterminée par nature. Peut-être s'agit-il ici de jeter des sorts à l'angoisse, cette compagne de l'inspiration (à l'instar d'un Bruce Nauman filmant les changements dans son atelier qu'il sent lui échapper, dans ces moments où l'inspiration fait défaut, ou pour capter une vision distanciée des déplacements physiques effectués par la réalisation des oeuvres, dans cet espace-temps où se réalisent les pensées).

Mais quoi qu'il en soit, au travers de ces petites quêtes, Laurence Skivée (Liège, 1973 ; vit et travaille à Bruxelles) entretient une amitié avec la vie se faisant du bien sans forcer. Cette artiste hors normes consacre son attention aux points pour la fuite, aux traits pour funambuler dans son imaginaire scintillant, coordonnant le vide pour le mettre en musique. Rien n'est dure ou passif dans ce qu'elle pose, tout se meut en glissements, sur des cadences pleines de grâce.


 


Véronique Depiesse

l'art même n°18, 1/2003