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Le minimalisme plastique de Laurence Skivée ou les extases nues



Pour « Ball-trap » de Werner Lambersy, Laurence Skivée a créé un jeu sidérant de contours. Chaque intervention propose un volume particulier de l'ordre de l'épure. Le dessin combat le vide sans pour autant que puissent se distinguer des objets mais juste quelques indices d'une certaine présence. Les formes surgissent et agissent dans l'obscur délesté de sa composante d’ombre : tout se désépaissit et s'allège en confrontation communicante avec les textes.


La présence plastique se réduit à une fragrance de lignes ou de courbes. Elles donnent à voir ce qui échappe (objet ? substance ?) en monochromie de diverses couleurs. Reste l'interception de la lumière par ce corpus mystérieux et fin de présences énigmatiques. Laurence Skivée transforme les données « objectives » du réel. Tout se retrouve lointain et proche. Les contours ne sont plus des pièges : ils créent la débandade des horizons afin de montrer des confins, des possibles. L’artiste retient et libère en une suite de formes aussi simples qu’altières et poétiques. En un tel minimalisme graphique il n’existe plus de “ plans ” stables. Les formes se rétractent ou deviennent extensibles. Plutôt que « d'images » il s’agit de leur avant et de leur après, de leur avancée et leur recul.


Cela peut s’appeler Eden et enclos. L’artiste y noue des entrelacs. La lumière efface toute ombre en embrassant l’espace afin de créer une poésie perceptive particulière. Chaque œuvre « regarde » de façon implicite le texte de Lambersy et le développe hors de lui-même en rhizomes, suspens, échos visuels capables de fomenter l’étrange fascination d’une humilité d’apparence. Ce que le texte dit de la déperdition « des premières lumières », le dessin lui répond en des mouvements magnétisés par ce qui les dépasse. Le texte appelle une telle présence d’envols en fragment et en intermittence. L’art devient une méditation et une exaltation unissant un mouvement de dilatation à celui de la concentration. Il lie l’infime à l’immense loin de tout effet spectaculaire en une harmonie subtile. Reste à s’abîmer en une extase nue.



Jean-Paul Gavard-Perret

De l'art helvétique contemporain

8 avril 2017



Werner Lambersy « Ball-Trap »

Dessins de Laurence Skivée

Collection Xylophage, Editions L’Âne qui butine, 317 ex numérotés, 22 €